LETTRE DE BALTHAZAR (8)
du MARIN (Martinique) à BARBUDA (Antigua)
du Mercredi 6 Mai au Samedi 16 Mai 2009
Nous voilà revenus d'un séjour de quatre semaines en Métropole pour retrouver BALTHAZAR qui nous a attendu sagement au sec sur le terre plein du chantier Carenantilles au MARIN.
L'équipage de retour en Bretagne est constitué d'André (Van Gaver), Maurice (Lambelin), Vincent (Petit) et du capitaine; Eckard (Weinrich) embarquera lui à Pointe-à-Pitre. André et Vincent nous quitteront aux Açores où embarquera Dany (épouse de Maurice).
L'antifouling est resté impeccable depuis Salvador de Bahia (grâce à la sortie de l'eau notamment) et permettra à BALTHAZAR de bien filer sur sa coque lisse pour son retour au bercail.
La remise à l'eau se passe sans problème comme programmé le Jeudi 7 Mai et nous allons au ponton de la marina pour faire les pleins d'eau (après purge complète du réservoir), de gasoil et faire quelques provisions (le gros sera fait en vivres fraîches en Guadeloupe) avant ce long retour de près de 4500 milles.
Vendredi avant l'appareillage et après ces préparatifs divers nous allons déjeuner d'une excellente cuisine créole (accras, boudins et Ti'Punch, fricassée de chatrou aux haricots rouges, bananes flambées) chez une Mamie qui tient un minuscule restaurant tout simple derrière la marina.
Nous appareillons en bonne forme en début d'après midi par temps couvert puis louvoyons dans l'eau turquoise du profond cul-de-sac Marin pour éviter les pâtés de corail. Sur l'un d'entre eux gît une coque sur le flanc probablement traînée là par quelque cyclone. Nous laissons à bâbord le village des Boucaniers du Club Med puis la superbe plage de Sainte-Anne. Agréable marche à la voile par vent portant jusqu'au rocher Diamant puis traversier en remontant la côte sous le vent des anses d'Arlet. Alors que le temps se lève et que nous bénéficions d'un beau coucher de soleil nous allons mouiller juste à l'entrée Sud de la baie de Fort-de-France dans un très beau site sauvage, l'Anse Noire. Baignade à la tombée de la nuit.
Un catamaran, apparemment loué pour l'occasion, fête gaiement l'anniversaire de Robby, noir Martiniquais fort sympathique. Ils viennent à la nage entourer BALTHAZAR et nous inviter au verre de l'amitié à leur bord.
Nous revoilà une demi-heure après en train de boire avec sa femme et la bande à Robby, incluant un couple de métropolitains bordelais récemment installés tous les deux comme kinés au village du Carbet, un excellent rhum vieux. Cela commence par le verre de l'arrivant (pour nous, car ils sont déjà très en forme), les conversations sont ensuite soutenues par le verre du pendant (grand débat sur qui va emporter le championnat de foot, Bordeaux qu'ils soutiennent ou l'OM). Comme dit joliment Robby la vie est trop courte pour s'habiller tristes. Nous terminons cette bordée par le verre du partant avant de nous retirer en forme. Dans l'enthousiasme et la nuit Vincent manque une marche de descente d'une des coques du catamaran et dévale dans un grand bruit les trois suivantes pour terminer tout habillé dans l'eau sans perdre ses lunettes. Ambiance!
Mais l'histoire n'est pas finie. En effet Robby avait oublié de nous remercier de la bouteille de whisky que nous avions amenée comme présent et en revoilà quatre arrivant en annexe sur BALTHAZAR armés de ce prétexte et d'une bouteille neuve de l'excellent rhum Neisson. Arrivant, pendant, partant y passent avec moultes histoires. Nous faisons davantage connaissance avec Robby, homme simple mais éduqué et assez fin, travaillant chez VERITAS.
La pleine Lune se lève au moment de leur départ, au-dessus des pentes raides couvertes d'une belle végétation tropicale qui nous domine. Le calme revient sur ce mouillage superbe et discret.
Réveil tôt le matin ( à 5h30) du Samedi 9 Mai et appareillage après un solide petit déjeuner. André avoue avoir eu mal aux cheveux durant la nuit!
Route directe sur les Saintes à 90 milles où nous entrons par la passe Sud Ouest au soleil couchant après avoir doublé Saint Pierre en se remémorant le désastre de l'éruption de la Montagne Pelée de 1902, désastre rappelé par la dizaine d'épaves gisant par le fond dans la rade, puis traversé le canal de la Martinique où l'alizé accélère pour s'engouffrer à force 6 ou 7 sur plus d'une vingtaine de milles entre les volcans de la Montagne Pelée et du mont Diablotin en Dominique, puis doublé sous le vent la Dominique, puis traversé à nouveau sous un alizé musclé le canal des Saintes entre la Dominique, les Saintes et Marie Galante.
Belle journée de voile parcourue au bon plein dans un alizé musclé en un peu plus d'une douzaine d'heures à 7,5 noeuds de moyenne sous Grand'voile à 2 ris et solent, bateau bien équilibré et gîte raisonnable, chariot d'écoute de la GV sous le vent.
Nous mouillons à la nuit tombante dans le superbe site de l'Anse du Pain de Sucre, dominé par un spectaculaire édifice formé d'orgues hexagonales de basalte, figures de refroidissement de la roche en fusion dans les cheminées de volcans.
Matinée de farniente et baignade dans une eau turquoise et calme par beau soleil.
Nous levons l'ancre après le déjeuner pour traverser la baie des Saintes et venir mouiller à l'Anse Mire au pied du fort Napoléon , tout près du bourg. Des barques de pêche colorées et élancées, les Saintoises, sont tirées sur la petite plage qui la borde.
Nous montons au fort pour admirer dans la lumière du couchant cette rade magnifique et très bien protégée dans le calme du soir qui suit le départ des touristes du weekend. Nous étions seuls. Notre imagination remplit cette rade de la flotte de l'Amiral de GRASSE qui y tenait toute entière et se préparait à combattre le 12 Avril 1782, au large des Saintes, l'escadre britannique de l'Amiral RODNEY basée elle dans le port de Porstmouth au Nord de la Dominique et à moins d'une trentaine de milles de là. Ce fut le plus grand affrontement naval entre l'Angleterre et la France dans la Caraïbe. Hélas, trois fois hélas, les Anglais l'emportèrent après de violents combats.
Dans cette paix du soir cette évocation rend bien inutiles et dérisoires tous ces combats sanglants (on se canonnait à bout portant!) entre français et anglais pour se prendre et se reprendre plusieurs fois pour certaines ces pauvres îles dont quelques unes seulement (celles qui avaient des volcans assez élevés pour condenser les nuages et être correctement arrosées) produisaient le sucre recherché à l'époque avant que Napoléon, sous la pression du blocus continental, fasse planter quelques années après les betteraves sucrières.
Le bourg des Saintes garde sa simplicité et sa quiétude bien que beaucoup de maisons et villas aient été ravalées ou reconstruites à neuf (notamment à la suite d'un tremblement de terre récent) dans un style traditionnel bien respecté et efficace pour l'aération et pour se préserver de la chaleur.
Lundi 11 Mai traversée au près la passe entre les Saintes et la Guadeloupe et après un long bord vers Marie Galante nous embouquons le Petit Cul-de-Sac MARIN pour pénétrer dans la rade de Pointe-à-Pitre et venir accoster dans la marina du Bas-du-Fort.
Nous y retrouvons sur le même ponton notre vieil ami Gilbert Blondet Gonte, bon ingénieur du Centre Spatial Guyanais, natif de Pointe-à-Pitre, et son épouse Maïté de souche guyanaise. Il vient de s'acheter un catamaran de location pour sa retraite qu'il compte passer en Guadeloupe en quittant la Guyane prochainement. Ti'Punch à bord de BALTHAZAR préparés par Maïté qui connaît particulièrement bien le bon dosage et discussions sur l'état de ces trois départements d'OutreMer qui font parler d'eux en ce moment. Après un dîner créole à La Frégate, sur le Lagon Bleu sur lequel s'étend la marina nous rejoignons avec plaisir nos couchettes.
Les grandes traversées commencent par de grands avitaillements. Nous voilà donc Mardi dans les allées d'un gros Carrefour où nous nous sommes rendus en voiture de location en train d'empiler dans trois énormes caddies les vivres fraîches (un peu), congelées et fumées surtout (le gros «sec», et liquide comme le vin, est stocké à l'intérieur du bateau depuis la Bretagne où nous avions fait un avitaillement monstre pour tout le périple) nécessaires à près de 4 semaines d'autonomie.
De retour au ponton nous nous demandons comme d'hab comment tout cela va rentrer, notamment dans le frigidaire et les deux congélateurs. Finalement tout rentre. Ouf! C'est fait.
En début de soirée Will, frère d'Hedwige kiné à Gosiers et sa compagne guadeloupéenne Viviane arrivent pour l'apéro en même temps que les invités d'Eckard, Guy et Isabelle Brugel ainsi que Hervé Michel-Donnadieu. L'amusant est qu'ils se connaissent tous par le golf et qu'ils s'annoncent mutuellement être invités sur un bateau dénommé BALTHAZAR, tiens moi aussi!
Arrivant, pendant, partant n'y suffisent pas et les Ti'Punch descendent jusqu'à une heure avancée dans une joyeuse ambiance.
Will convainc sans difficultés l'équipage d'emprunter la Rivière Salée qui sépare au milieu les deux ailes du papillon de la Guadeloupe, que BALTHAZAR peut emprunter grâce à son faible tirant d'eau, dérive relevée, et d'aller ensuite facilement de sa sortie Nord en route directe pour Antigua que certains équipiers ne connaissent pas.
C'est beaucoup plus court et permet d'admirer une belle mangrove puis l'eau superbe
et les cays de coraux du grand cul-de-sac Marin.
Après leur départ nous mangeons rapidement une ratatouille préparée par le capitaine accompagnée d'oeufs au plat et allons nous coucher.
Le réveil sonne à 3h45 car il faut être à 4h45 devant le pont de la Gabarre , premier des deux ponts qui bloquent le passage des voiliers. Celui-ci ouvre à 5h pour se refermer derrière les bateaux qui le franchissent, le suivant, le pont de l'Alliance, se fermant à 5h30, le temps d'y aller.
A l'appareillage le propulseur d'étrave dont je donne deux ou trois courtes impulsions pour m'éloigner du corps mort sur lequel est frappée l'aussière avant du bateau avale un bout entre deux eaux qui fait cisailler les goupilles de sécurité des deux hélices. Il s'agit très probablement d'un vieux bout cassé qui devait pendre sous le corps mort. Morale de l'histoire: je ne toucherai plus à mon propulseur d'étrave à moins de 5m d'un corps mort. En attendant il faudra esquiver les piles étroites du premier pont sans lui.
Nous remontons de nuit la rade de Pointe-à-Pitre puis le chenal bien balisé qui y conduit et arrivons à l'heure pour signaler notre présence (nous sommes seuls). A 5h pile le trafic routier est arrêté et le pont se soulève pour nous libérer le passage. Nous le franchissons dans une manoeuvre délicate sans propulseur d'étrave car une vieille pile de pont qui le précède d'une vingtaine de mètres empêche de s'aligner correctement dans l'étroit passage qui ne laisse qu'un mètre environ de part et d'autre. Baïonnette dans un courant de 0,5 à 1 noeud: ça passe tout juste!
Dès la sortie, dans un moment de confusion, je décide de mouiller dans l'approbation générale pour prendre notre petit déjeuner pendant que le jour se lève. Caramba! Au milieu du petit déjeuner je réalise que nous n'avons pas passé le pont de l'Alliance et que nous sommes prisonniers de la rivière Salée. Me voilà bien penaud après cette bourde monumentale et inexplicable (j'avais bien entendu lu le guide nautique hier soir) mais l'équipage prend l'affaire à la rigolade d'autant plus que je lui promets en compensation un bon repas à Antigua.
Nous ne sommes finalement pas trop mécontents de cette journée de repos forcé à écouter notamment de la guitare classique et d'autres musiques (Eckard a été musicien pendant une vingtaine d'années), à faire de la lessive, cuisiner, bouquiner ou écrire. Je téléphone à Will pour l'informer de mon exploit. Il est plié en deux!
Nouveau réveil à 4h puis nous allons nous présenter au pont de l'Alliance. Attente un petit peu nerveuse car il n'est toujours pas ouvert à 5h15 et la cabine de commande est éteinte. Au moment où arrivent deux voiliers venant de passer le pont de la Gabarre une voiture arrive et en quelques minutes le pont s'ouvre. Ouf!
Le jour se lève et nous permet d'admirer la mangrove dans différents bras, les oiseaux et d'apprécier le silence.
A la sortie de la rivière Salée nous franchissons un seuil d'1m70 et nous mouillons dans le grand Cul-de-Sac Marin pour prendre notre petit déjeuner et plonger pour examiner le propulseur d'étrave dans sa tuyère. Les deux hélices tournent librement sans dommage apparent, aucune trace de bout ou de corps étranger. Les deux goupilles de sécurité ont fait leur office. Elles seront à changer sur la cale du Crouesty au retour.
Sortie délicate du cul-de-sac Marin entre les cayes de coraux par un chenal compliqué mais bien balisé.
Une traversée rapide à plus de 8 noeuds par un bon alizé nous amène à English Harbour à Antigua vers midi trente. On découvre au dernier moment ce qui fut le repaire de Nelson dans ses premières années de commandement. On entre par une baïonnette dans ce port admirablement protégé et défendu.
Nous revoilà mouillé cul à quai dans ce Nelson dockyard joliment restauré et préservé.
Antigua, Jeudi 14 Mai 2009.